Chapitre 5

L'ouvrage a un style littéraire particulier. Le lecteur est surpris par des "Flash Back" le renvoyant dans le passé, marqué par l'écriture en italique.

 

"En quête du père"

 

Extraits :

 

 

Me voilà, devant le Juge de la Jeunesse. Une décision a été prise de me placer en institution… Moi, évidemment, je ne veux pas ! Ce que je veux, c’est un studio à Mons ! Le juge m'explique patiemment que, vu les difficultés que je rencontre à la maison, nous devons prendre de la distance. Il est actuellement trop prématuré d’envisager mon autonomie. Nous fixons un nouveau rendez-vous pour dans deux mois, à la fin de mon séjour en observation…

De mon côté, je considère cette décision comme une punition. Punie de quoi? D’essayer d’exister? Je n’arrive pas à comprendre. C'est elle qui m'empêche de vivre et c'est moi qui suis punie. Je me sens déchirée, le cœur en lambeaux… c’est malgré tout ma maman, et je l'aime quoi qu’il arrive… Mais elle, pourquoi ne peut-elle pas m’aimer, juste un peu?

 


   

C’est le cœur lourd que je retourne à l’institution. J’ai le mal de vivre. Je regarde par la fenêtre de ma chambre et j’aperçois l’étoile du berger qui brille dans l’obscurité... Y a-t-il une seule bonne étoile pour moi dans ce ciel ? Je me demande comment pouvoir survivre ? Je repense à la mort… Que se passe-t-il après ? Rejoint-on le paradis ? Pourquoi est-ce si dur de vivre ? Je me sens coupable de tout. Je ne suis qu’une mauvaise. Je me dis que le problème ne peut venir que de moi. C’est à moi de changer, d’être gentille, serviable, attentive avec ma mère. Mais comment faire puisqu’elle a toujours refusé mes gestes de tendresse ?

Petite déjà, je m’appliquais à la réalisation d’un cadeau pour sa fête des mères. Le jour où je lui offrais, elle me remballait sèchement, déclarant qu’elle n’aimait pas la fête des mères !

 

J’essaye d’obtenir un peu d’écoute auprès des éducateurs, mais ils ne sont pas vraiment disposés. Les jeunes pensionnaires le sont un peu plus car ils souffrent, eux aussi. Entre nous, nous nous soutenons.

Les éducateurs ne nous voient que comme des dossiers ou des cas dont ils ont la charge. Ils ne nous aident pas à comprendre ce qui nous arrive. Ils nous accordent peu d’écoute et ils ne nous mettent que très peu au courant de notre "suivi". Nous sommes des jeunes à "problèmes". Les seules choses dont ils nous font part sont des reproches concernant notre scolarité ou nos comportements. Jamais ils n’essayent de mieux nous soutenir dans notre parcours douloureux.

 

Un soir, je n’en peux plus de ce mal-être qui m’étouffe. Pas moyen de me confier pour le soulager, alors j’explose ! Je pique une colère terrible, claquant les portes, hurlant et reprochant aux éducateurs leur manque d'empathie. Je me roule par terre et tente d’évacuer ma douleur par des cris. Ma vie n’a aucun sens. Je veux mourir !

Se sentant impuissant, l’éducateur appelle le docteur. Mais je ne veux pas ingurgiter ses cachets. Alors, avec l’aide du moniteur, ils m’immobilisent et m’administrent une piqûre.

 

Calmée et enfermée dans ma chambre, j’écoute Genesis en pensant à ma maman : elle, qui prône la paix, en tapissant sa chambre d’affiches « Peace and love » !!! Cette contradiction et ces mensonges engendrent une véritable torture mentale. Comme si j’étais sur la chaise électrique et que les électrodes étaient posées directement dans mon crâne. Je cherche en vain mais... pas la moindre once d’amour, je ne vois que sa haine. Qu’ai-je fait ? Je n’ai pas demandé à naître, moi. Ne pourrait-elle pas venir me faire un câlin et me dire qu’elle m’aime ?

Sous l’effet du sédatif, je finis par m’endormir.

 

Je m’ennuie beaucoup au foyer. Alors, pour être moins seule, je reste des heures au fumoir à parler avec d’autres pensionnaires. Je sympathise avec Bachir. Il a beaucoup d’humour. Rire me fait du bien. Nous décidons d’organiser un week-end à deux, alors que je suis sensée rentrer chez mes parents... Nous prenons le train pour Bruxelles, ses parents à lui sont absents pour le week-end.

Il habite une maison modeste, avec une chambre aménagée dans la cave, vraiment originale. Après avoir fait quelques courses, histoire d’avoir de quoi manger, boire et fumer des pétards, nous nous installons comme des pachas. Enfin... surtout moi, car il s’assied par terre et me laisse son fauteuil. Du coup, j’ai l’impression d’être une princesse. Nous regardons le film «  Les Frères Pétards », une comédie délirante qui réunit Gérard Lanvin et Jacques Villeret en dealers d’herbe malgré eux. Fumer du cannabis nous permet d’anesthésier nos souffrances et de calmer nos angoisses. Nous nous amusons comme des fous, riant tellement fort que je manque de faire pipi dans ma culotte. Je me sens vraiment à l’aise et décontractée. Une chance pour moi, Bachir ne cherche pas de relation intime et ça me soulage, après mon expérience passée et tout ce qu’on raconte sur les étrangers. Lui, c’est quelqu’un de bien. Il se contente de mon amitié et je trouve ça beau. Ensemble nous refaisons le monde en rigolant et finissons endormis. Lui par terre, moi sur mon trône.

 

De retour au foyer, l'accueil qui nous est réservé n’est ni plus ni moins qu’une engueulade magistrale de la part des éducateurs. Le règlement d’ordre intérieur interdit les relations amoureuses entre jeunes au sein de l’institution.

Je conteste ce règlement stupide. Même pas le droit de s’aimer ! Insensé ! Pourquoi faire des institutions mixtes alors ? Nous disposons en permanence d’un gâteau généreusement placé sous nos yeux, mais nous ne pouvons pas y goûter, alors que nous sommes affamés d’affection. Soumis à une tentation quotidienne, nous finissons par craquer de temps en temps et bien sûr, par être surpris en flagrant délit, au tournant d’un couloir ou dans la remise à balais. La sentence est alors terrible : privation d’amour !

La carence affective nous ronge mais non, nous devons « contrôler » nos émotions ! De quoi sommes-nous punis ? Savent-ils seulement, ces faiseurs de règles, la torture affective que nous vivons, nous les jeunes « institutionaires », en cohabitation mixte et en pleine crise de puberté ? Savent-ils ce que manquer d’amour signifie ?

« Redresse-toi Julie, marche droit et au pas si tu ne veux pas souffrir. Arrache-toi le cœur. Tu n’as plus le choix. C’est la LOI qui le veut. »

L’institution devient une prison foisonnante d’interdits, nous obligeant à nous durcir comme de la pierre pour ne plus souffrir.    

            


 

En voiture pour Charleroi, Maxime Le Forestier chante pour moi «  être né quelque part... » Et je refaçonne ses paroles à ma sauce :

 

     On choisit pas ses parents, on choisit ses amis...

     ... être né quelque part

     Pour celui qui est né, c’est toujours un hasard

     Drôle de hasard qui me laisse sur le quai de la gare...

     ... c’est quand que mon papa rentrera de voyage ?

     Restera-t-il chez lui ?

     Sait-il que je suis là à l’attendre ?

     ... est-ce que les gens naissent égaux en droits

     Quand ils naissent avec le mystère paternel ?...

     ... je suis née quelque part

     Laissez-moi ce repère, ou je perds la mémoire

     Nageant dans le brouillard...

 

 

 

 

 

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